Témoignage

Mon ado est cyberdépendant

Mon ado est cyberdépendant

À l’âge de 16 ans, Mathis avoue à sa mère qu’il a perdu la partie: il n’a plus le contrôle sur ses jeux en ligne, ce sont les jeux qui ont le contrôle sur lui. Après une thérapie dans un centre de traitement des dépendances pour adolescents, il travaille aujourd’hui à ce que le jeu redevienne un jeu, c’est-à-dire un passe-temps occasionnel dans une vie saine et équilibrée.

Quand Geneviève y repense, son fils Mathis a toujours eu une prédisposition à développer un problème de dépendance aux jeux vidéo. Elle se rappelle que, lorsqu’il était âgé de 7 ans, son enseignante l’avait informée que Mathis était en situation d’échec et qu’il ne fonctionnait pas bien en classe: il s’endormait, était très irritable et même colérique. À la maison, il adoptait les mêmes comportements. En tentant de comprendre pourquoi, elle avait découvert que Mathis jouait en cachette pendant la nuit sur son cellulaire et celui de son conjoint.

La conséquence avait été immédiate: plus de jeux vidéo pour lui jusqu’à nouvel ordre, que ce soit sur la tablette, ses consoles de jeux Nintendo DS et PlayStation ou sur les cellulaires. «Quand on lui a remis une manette entre les mains après quelques mois d’abstinence, il tremblait tellement il était content de pouvoir recommencer à jouer», se souvient la maman.

Les jeux vidéo: une source perpétuelle de conflits

Les années suivantes, Mathis demeure aussi passionné par les jeux vidéo. Il y joue plusieurs heures par jour, presque tous les jours.

« C’était une source constante de conflits entre nous. Quand il devait arrêter de jouer, il pétait des crises. Quand on organisait des activités familiales, il préférait rester à la maison pour jouer. Quand on lui faisait part de nos inquiétudes par rapport à son utilisation des écrans ou à son comportement, il nous répondait qu’il n’avait pas de problème. »

Vers l’âge de 15 ans, il s’isole de plus en plus dans sa chambre. Il ne communique pratiquement plus avec ses parents et il refuse à peu près toutes les propositions de sorties de la part de ses amis, préférant jouer en ligne. Mathis, qui a toujours eu un parcours académique difficile, décide à 16 ans d’abandonner ses études pour entrer sur le marché du travail. Il se trouve alors un emploi à temps plein dans une usine avec des quarts de travail rotatifs de soir et de nuit.

À partir de ce moment, Geneviève et son conjoint, qui travaillent tous deux de jour, ne voient pratiquement plus Mathis. Ils le croisent à peine dans la maison. Elle n’a donc aucune idée que la passion de son fils pour les jeux en ligne s’est transformée en obsession. «Je ne m’inquiétais pas, car je savais qu’il était soit à la maison, soit au travail, commente-t-elle. Mais aujourd’hui, avec du recul, je peux confirmer que Mathis démontrait plusieurs signes de cyberdépendance que nous n’avons pas été en mesure de détecter à ce moment-là.»

L’aveu de cyberdépendance

Le 27 octobre, Geneviève et son conjoint apprennent par un proche que Mathis a démissionné de son travail la veille. En arrivant à la maison, ils lui demandent des explications et tentent de comprendre ce qui ne va pas avec lui depuis quelques semaines. Durant la discussion, Mathis éclate en sanglots et avoue qu’il n’est plus capable d’arrêter de jouer, comme lorsqu’il était plus jeune.

Geneviève lui demande alors de jeter un œil sur son compte bancaire.

« C’était épouvantable, lance-t-elle. Il pouvait dépenser de 200 à 400 $ en cartes Google Play dans une seule journée… pour un total d’environ 17 000 $ en 5 mois! »

Sa dépendance, ce sont les jeux en ligne de type pay-to-win, qui peuvent être téléchargés gratuitement sur des appareils mobiles, mais qui nécessitent des achats pour performer. «Comme Mathis n’a pas beaucoup d’estime de lui, c’était une façon pour lui d’aller chercher de la valorisation», souligne Geneviève.

Un processus laborieux vers le diagnostic

Après l’aveu de son fils, Geneviève se met tout de suite en mode proactif: «Je me suis dit: “Par où commencer?”» Même si elle travaille en relation d’aide depuis plusieurs années et qu’elle a déjà travaillé dans un centre pour adolescents toxicomanes, elle ne sait pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide en cyberdépendance et constate que les ressources sont peu nombreuses au Québec.

Après de longues recherches sur Internet et avoir cogné à plusieurs portes, elle contacte Le Grand Chemin, un organisme qui offre notamment des services de thérapie avec hébergement pour la cyberdépendance aux jeunes de 12 à 17 ans. On lui précise que Mathis doit être évalué et recommandé par un professionnel du centre de réadaptation en dépendance du CISSS de sa région pour avoir accès aux services. Or, ce n’est pas simple: les procédures d’évaluation du dossier s’étendent sur plusieurs semaines, ce qui semble une éternité pour Geneviève. Comme Mathis a 16 ans, les rencontres avec les intervenants sont confidentielles et la thérapie doit être entreprise sur une base volontaire. Son fils étant introverti, Geneviève craint qu’il n’explique pas bien sa situation et qu’on ne reconnaisse pas son besoin d’aide. Elle craint également qu’il change d’idée en cours de route.

De l’évaluation, il ressort que Mathis joue en moyenne 84 heures par semaine à des jeux vidéo, et ce, même s’il travaille 40 heures par semaine. «C’est à ce moment que j’ai compris qu’il ne dormait et ne mangeait presque plus pour jouer plus longtemps», partage Geneviève.

Le dossier est finalement attribué au Grand Chemin. Mathis y fait son entrée en décembre, anxieux, la tête baissée, sans sourire ni aucune confiance en lui. Sa mère n’a alors qu’un souhait: retrouver un fils présent, confiant et épanoui.

Mieux gérer ses émotions pour mieux gérer les jeux vidéo

Pendant sa thérapie, Mathis travaille très fort sur lui, sur la gestion de ses émotions, sur sa confiance et son estime de soi de même que sur son anxiété sociale, entre autres. Il téléphone à sa mère toutes les semaines pour lui donner des nouvelles. Au fil des appels, Geneviève constate une belle évolution: il s’ouvre de plus en plus à elle, parle davantage de ce qu’il vit et commence à faire confiance aux autres résidents ainsi qu’aux intervenants.

Après neuf semaines passées au Grand Chemin, Mathis se sent prêt à rentrer chez lui. Une phase de réinsertion sociale d’une durée d’environ quatre mois est ensuite prévue. Geneviève et son conjoint s’impliquent à 100 % dans la démarche de Mathis. Ils acceptent d’être conseillés et guidés tout au long du processus par le conseiller à la famille du Grand Chemin.

L’importance de garder la communication ouverte

Depuis sa sortie du centre, Mathis a repris ses études et a développé plusieurs passe-temps sans écran, comme le dessin et la lecture. Il s’est même inscrit à un club de boxe récemment. Il réussit ainsi à conserver une routine équilibrée et de saines habitudes de vie, comprenant les études, le travail, les amis (avec qui il a repris contact), les loisirs, le temps en famille… et les jeux vidéo.

« Dans les cas de cyberdépendance, l’objectif n’est pas de viser l’abstinence, mais plutôt une réduction des méfaits de l’utilisation d’Internet et des écrans. »

Geneviève, mère de Mathis

Pour y arriver, des règles familiales claires, concrètes et cohérentes ont été écrites en collaboration avec Mathis, de même que des conséquences si elles ne sont pas respectées.

Geneviève constate que son engagement joue également un grand rôle dans le rétablissement de son enfant. Elle est reconnaissante envers Le Grand Chemin de l’avoir impliquée dans la démarche de Mathis. «L’accompagnement, la disponibilité, l’écoute et le soutien de la part de tous les intervenants ont vraiment fait une différence pour mon fils, mais également pour toute notre famille, soutient-elle. On constate que Mathis est davantage capable de mettre des mots sur ses émotions et de verbaliser ses besoins et inconforts, qu’il est plus ouvert à la discussion et qu’il passe beaucoup plus de temps de qualité avec nous.»

Si le comportement de votre ado en lien avec les jeux vidéo ou sa consommation numérique vous inquiète, n’hésitez pas à en parler avec lui, à contacter son école ou à consulter nos ressources. Rappelez à votre enfant qu’il peut joindre Tel-jeunes ou Jeunesse, J’écoute.

Par Amélie Cournoyer, journaliste indépendante