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Les programmes d’e-sport à l’école: inscrire son ado ou pas?

Par Équipe PAUSE, en collaboration avec Antoine Lemay, doctorant en psychologie à l’Université du Québec à Montréal

Les programmes d’e-sport à l’école: une bonne idée?

De plus en plus d’écoles proposent des programmes parascolaires ou de concentration en sport électronique. Votre jeune aimerait s’y inscrire? Lisez ce qui suit pour prendre une décision éclairée.

En octobre 2022 est parue une étude intitulée Les eSportifs en milieu scolaire: Des joueurs comme les autres? L’Équipe PAUSE s’est entretenue avec Antoine Lemay, doctorant en psychologie à l’Université du Québec à Montréal et coauteur de cette étude, pour en savoir plus sur le sport électronique (e-sport) en milieu scolaire.

Antoine Lemay

Antoine Lemay

Doctorant en psychologie à l’UQAM

  • Tout d’abord, qu’est-ce que le e-sport?

    C’est la pratique compétitive de jeux vidéo, que ce soit de façon professionnelle ou amateure. Elle est coordonnée par des ligues et des tournois durant lesquels les joueurs et les joueuses vont compétitionner de façon individuelle ou en équipe. Le terme sport ne fait pas référence aux jeux vidéo qui favorisent l’activité physique, comme avec la Wii, mais plutôt à l’aspect compétitif. Certains jeux se prêtent tout particulièrement au e-sport, comme les jeux d’arènes de bataille en ligne multijoueurs (ex.: League of Legends), les jeux de tir (ex.: Counter-Strike, Fortnite) et les jeux de stratégie en temps réel (ex.: Starcraft) parce qu’ils favorisent les affrontements entre les joueurs et les joueuses.

  • Pourquoi certains milieux scolaires décident-ils d’offrir des programmes de sport électronique?

    Parce qu’il y a un intérêt de la part des jeunes, tout simplement. Les jeux vidéo sont devenus le loisir le plus populaire sur la planète. Des ligues sont apparues au Québec pour régir les compétitions et, aujourd’hui, les cégeps et les universités ont à peu près tous leur équipe officielle de e-sport. Bref, ce n’était qu’une question de temps avant que le e-sport fasse son entrée au secondaire. Les établissements secondaires y voient, quant à eux, l’occasion de proposer une option aux jeunes qui ne trouvent pas leur compte dans les programmes de sport ou d’art, dans le but de les garder motivés et impliqués à l’école.

  • Est-ce que tous les programmes de e-sport dans les écoles secondaires s’équivalent?

    Depuis 2018, certaines écoles proposent un programme parascolaire en e-sport, c’est-à-dire que les cours se donnent dans un local de l’école, en dehors des heures de classe. En plus de la pratique de jeu supervisée, les jeunes suivent des ateliers de sensibilisation à la cyberdépendance et de promotion des saines habitudes de vie, puis ils et elles participent à des activités sportives sur une base hebdomadaire. Ils et elles doivent également maintenir une bonne moyenne académique. Depuis 2019, quelques écoles — elles sont moins nombreuses — offrent une concentration en sport électronique. Le temps de classe est généralement divisé entre la théorie sur les stratégies de jeu, la pratique de jeu supervisée, puis la santé et l’activité physique.

    Les programmes parascolaires et les concentrations peuvent convenir à différents types de e-sportifs et e-sportives: ceux et celles qui souhaitent s’investir seulement pour le plaisir ou de façon plus importante. Il faut toutefois garder en tête que, tout comme pour les sports professionnels, seulement une très faible minorité réussit à faire du e-sport un métier et qu’il s’agit d’une carrière de très courte durée.

  • Selon les résultats de votre étude, quel est le profil des jeunes qui font du e-sport?

    Nous avons comparé 67 garçons de 4e et 5e secondaire inscrits dans un programme parascolaire de e-sport et 109 de leurs camarades de classe qui jouent de façon récréative. Les e-sportifs sont semblables sur plusieurs plans à leurs camarades de classe qui jouent de façon récréative: ils ont des types de familles comparables, ils allouent à peu près le même nombre d’heures à leurs études ainsi qu’à leur travail à temps partiel et ils ont des résultats scolaires similaires. Leur utilisation des écrans en dehors des jeux vidéo est également semblable à celle de leurs collègues, à raison d’environ 15 heures par semaine. Par contre, ils jouent approximativement 5 heures de plus par semaine, pour un total d’environ 20 heures. Et il faut ajouter à cela le temps de pratique du e-sport, soit environ 14 heures par semaine.

  • Dans notre étude, le temps d’écran total des e-sportifs est donc beaucoup plus important que celui des jeunes qui jouent de façon récréative: 50 heures par semaine en moyenne contre 31 heures pour leurs collègues.

  • Près de 33 % des e-sportifs ont une pratique des jeux vidéo qui peut être considérée comme à risque ou problématique. Sur le plan psychologique, 52 % présentent un niveau de détresse psychologique élevé (contre 39 %) et 58 % ont une estime de soi faible ou très faible (contre 52 %).

  • Quels sont les bienfaits et les méfaits du e-sport en milieu scolaire?

    D’un côté, environ la moitié des jeunes ont rapporté des conséquences négatives sur leurs études ou leur emploi, près de la moitié sur leur sommeil (48 % contre 37 %) et le quart sur leur famille. De l’autre côté, 75 % des e-sportifs ont noté des bienfaits sur leurs relations sociales, 42 % sur leur santé psychologique et 45 % sur leur motivation générale. Cela dit, les jeunes ont mentionné très peu d’effets sur leur motivation scolaire. Ce n’est pas donc pas un programme qui a l’effet magique de motiver à l’école et de faire aimer les maths. Bref, pour certains jeunes, les programmes de e-sport semblent associés à des bienfaits, alors que pour d’autres, ils semblent plutôt associés à des méfaits.

  • À la lumière de votre étude, qu’est-ce que les parents qui envisagent d’inscrire leur ado à un programme de sport électronique devraient garder en tête?

    Malgré l’encadrement et la sensibilisation aux saines habitudes de vie dans les programmes parascolaires, les e-sportifs et e-sportives ont tout de même tendance à avoir moins d’activités hors ligne, à consacrer davantage de temps aux jeux vidéo et sont plus à risque de développer une pratique problématique. Ce type de programme ne va donc pas structurer la pratique de jeu de tous les jeunes.

  • Des efforts complémentaires doivent être investis à la maison pour favoriser leur équilibre numérique parce que ce n’est pas quelque chose qui leur vient naturellement.

  • Par exemple, les ados qui participent à un programme de e-sport pourraient réduire leur pratique de jeux vidéo récréative afin de privilégier des loisirs hors ligne et ainsi éviter un temps d’écran hebdomadaire trop important tel qu’observé dans l’étude.

  • Avez-vous des recommandations à faire aux parents de jeunes gamers?

    De façon générale, l’encadrement des parents est vraiment important pour tenter de limiter les conséquences négatives de la pratique de jeux vidéo et de tirer profit de ses bienfaits. Les parents peuvent se poser plusieurs questions en ce sens: est-ce que mon jeune délaisse les autres activités qu’il ou elle aimait? Est-ce qu’il ou elle s’isole davantage ou semble plus déprimé ou déprimée? Est-ce qu’il ou elle utilise les jeux pour fuir des difficultés ou pour se réfugier? En somme, est-ce qu’il ou elle vit des conséquences négatives de sa pratique de jeux vidéo ou est-ce que celle-ci s’inscrit positivement dans sa vie? Il ne faut pas oublier que les jeux vidéo sont une véritable passion pour plusieurs jeunes, mais que celle-ci doit rester harmonieuse et ne pas devenir obsessive.

    Les parents devraient prendre le temps de s’intéresser à la pratique de jeux vidéo de leur enfant, comme ils le font avec ses autres sports et activités. Ils peuvent, pour ça, lui poser des questions sur ses jeux préférés et même prendre une manette pour jouer avec lui ou elle. Le jeune qui voit son parent démontrer cette ouverture et cet intérêt sera plus susceptible de se tourner vers lui ou elle au besoin.

En conclusion, lorsqu’il s’agit de prendre une décision quant à l’inscription de votre enfant dans un programme d’e-sport en milieu scolaire, il est important de reconnaître que chaque jeune est unique et que ce genre de programme peut avoir divers effets sur son bien-être et son développement. Lorsque les interactions d’un jeune se trouvent principalement en ligne, par exemple, cela peut affecter ses compétences sociales hors ligne. Portez attention aux signaux et aux besoins individuels de votre enfant.

Puis n’hésitez pas à impliquer votre jeune dans le processus de prise de décision. Discutez ensemble de ses motivations, de ses intérêts et de ses objectifs par rapport au e-sport. Tenez compte de ses passions, mais n’oubliez pas d’évaluer les risques du e-sport et de considérer d’autres possibilités d’épanouissement personnel.

Finalement, quelle que soit votre décision, maintenez la communication ouverte avec votre ado. Soyez présent ou présente pour l’accompagner, l’écouter et le soutenir tout au long de son parcours dans le sport électronique ou dans tout autre domaine d’intérêt.