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La communication climatique dans un monde polarisé

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La communication climatique dans un monde polarisé

Si vous lisez ce billet de blogue, c’est probablement que vous êtes déjà sensible à la crise climatique. Il y a donc de grandes chances que je m’adresse, malheureusement, à un public convaincu. Encore. Mais ne partez pas! Voyons plutôt comment fonctionne ce cercle vicieux et s’il est possible de s’en sortir.

Crise médiatique, algorithmes et fausses nouvelles

Tout d’abord, petit cours de journalisme 101. Le Guide de déontologie des journalistes du Québec stipule que les faits doivent être vérifiés et départagés des opinions. Nous pouvons donc compter sur eux et elles pour nous fournir une information relativement neutre sur laquelle bâtir notre propre point de vue. Or, nous confondons souvent journalistes et chroniqueurs ou éditorialistes, un mélange renforcé par le fait que l’opinion occupe de plus en plus de place dans l’espace médiatique, entre autres parce qu’elle coûte nettement moins cher à produire.

Si les Québécois font majoritairement confiance aux médias traditionnels, le groupe des 18-34 ans leur préfère les médias sociaux comme Facebook, Twitter et YouTube. Le hic, c’est que les algorithmes de ces plateformes nous proposent des contenus qui valident nos croyances, nourrissant ainsi nos biais de confirmation.

«Au diable la vérité, ce sont les scandales, les titres sensationnalistes qui nous titillent et les propos croustillants, voire choquants, qui nous happent.»

Geneviève Rajotte-Sauriol

Consultante en communication responsable

Ce phénomène nous enferme dans une bulle, qu’on appelle, par analogie avec le dispositif sonore, une «chambre d’écho». Non seulement nous avons l’impression que tout le monde pense comme nous, mais ces algorithmes ont tendance à nous faire adopter des positions de plus en plus radicales, comme le montre le documentaire Derrière nos écrans de fumée (The Social Dilemma).

À cela s’ajoute le fait que les médias sociaux sont un haut lieu de propagation de fausses nouvelles. La guerre aux clics fait rage: au diable la vérité, ce sont les scandales, les titres sensationnalistes qui nous titillent et les propos croustillants, voire choquants, qui nous happent. Ainsi, les contenus climatosceptiques seraient plus viraux que ceux alertant sur les changements climatiques.

Discussions enflammées

Attardons-nous à Facebook, le réseau social le plus populaire au Québec. Au-delà des chroniqueurs-vedettes, chacun peut ajouter son grain de sel au débat public, du négateur du climat au cyberintimidateur végane extrémiste.

Gestionnaire de communauté chez Urbania, Benoit Lelièvre a l’habitude des publications qui créent la chicane et il aime bien donner de la latitude au débat. «Je masque uniquement les discours haineux, les menaces et les insultes personnelles. Au-delà de ça, je laisse aux gens le droit de s’exprimer.» Quand je lui demande si l’environnement est un sujet qui enflamme les internautes, il répond: «C’est très périodique. Ça été le cas à l’automne [2019] de Greta Thunberg, par exemple. Autrement, les réactions sont plus mitigées, en partie parce que les gens ont déjà l’impression de faire leur possible.»

Prenons un exemple. «Le boucher qui veut changer le monde», un article d’Unpointcinq, avait tout pour devenir viral: sujet chaud (la consommation de viande), storytelling (l’histoire de Pascal le boucher) et amorce accrocheuse (un boucher qui invite à manger moins de viande). La publication de l’article sur Facebook a récolté 402 réactions, 273 commentaires et 68 partages. L’article a rejoint à la fois les personnes qui se réjouissent des ambitions de cet artisan (promouvoir la viande locale et honorer toutes les parties de l’animal) que les puristes, pour qui manger de la viande, responsable ou non, est inacceptable. Bien joué!

Cependant, je me pose la question suivante : dans ce dialogue de sourds, a-t-on atteint la cible, soit les consommateurs de viande modérés, susceptibles de modifier leurs habitudes?

« L’algorithme te donne ce à quoi tu réagis, pas nécessairement ce que tu aimes. Allez jouer dans le trafic! »

Benoit Lelièvre

Gestionnaire de communauté chez Urbania

Donner une voix à la majorité silencieuse

La polarisation des débats, la facilité de diffusion publique de son opinion et les «méchants» algorithmes font donc la part belle aux voix les plus radicales. Lorsqu’on communique sur le climat, c’est souvent avec la majorité silencieuse qu’on souhaiterait établir un dialogue. C’est elle que nous voulons outiller pour susciter des changements de comportement. Comment donc traverser la barrière de la cyberviolence et de la cyberhaine pour être cyberconstructif?

Briser la chambre d’écho et créer des ponts

Pour déjouer les algorithmes des réseaux dits sociaux, Frédérique Gamache, gestionnaire de communauté, suggère de diversifier ses recherches, ses publications, ses relations et ses discussions. «Il faut être ouvert au débat pour créer un équilibre et ne pas tomber dans les extrêmes.»

Benoit Lelièvre abonde dans le même sens : ouverture d’esprit et diversification des sources d’information. «L’algorithme te donne ce à quoi tu réagis, pas nécessairement ce que tu aimes. Allez jouer dans le trafic!» Il ajoute qu’on ne peut pas convaincre quelqu’un de changer d’avis s’il n’y a pas d’amour dans la discussion, ce qui implique de connaître et de comprendre la réalité de l’autre. «Pour avoir une discussion productive, il faut être le premier à tourner la joue pour demander une deuxième claque. C’est ingrat parce qu’on a l’impression que l’autre, lui, ne s’ouvre pas à notre point de vue.»

Dans un texte (d’opinion!) publié dernièrement dans Le Devoir, le philosophe Normand Baillargeon proposait quant à lui de transmettre une culture scientifique générale à l’école, d’enseigner des notions de la pensée critique et de développer l’art de discuter.

«On oublie qu’on a droit à l’erreur, que l’on peut apprendre de gens qui ne pensent pas comme nous, qu’on devra de toute façon côtoyer des gens avec lesquels, finalement, nous serons en désaccord, que sur certaines questions complexes, il n’est pas étonnant qu’il y ait des désaccords, qu’il ne suffit pas d’être convaincu de détenir la vérité pour la posséder et qu’il ne suffit pas de se croire vertueux pour l’être.»

 

Par Geneviève Rajotte Sauriol, consultante en communication responsable, cofondatrice de l’agence Bleu forêt communication et blogueuse pour Unpointcinq.